Pour un monde "apolaire"
Il paraît que nous devrions souhaiter un monde multipolaire – par opposition à un monde unipolaire sous domination US, un monde qui, au demeurant, n’existe plus, si jamais il a existé. Mais, pour dire les choses simplement ni un problématique monde unipolaire ni un monde multipolaire ne sont souhaitables et j’ai du mal à saisir l’enthousiasme manifesté ici et là pour les BRICS qui seraient la base d’un monde multipolaire.
Certes, un monde unipolaire serait une mauvaise chose et trop souvent encore les États-Unis d’Amérique décident des affaires du monde souverainement. Mais notons qu’ils ne peuvent que parce que d’autres « souverainement » se soumettent aux menées de l’Oncle Sam. En 2003, la France, l’Allemagne et la Belgique, qui ne sont pourtant pas des rebelles échevelés, ont refusé de soutenir la seconde guerre du Golfe derrière GW Bush et le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. Notons qu’en 1991, c’est tout aussi souverainement que cet atlantiste invétéré qu’était Mitterrand a entraîné la France dans la première guerre du Golfe derrière Bush senior. Le problème n’est donc pas que le monde devienne multipolaire, mais que les nations aient le courage d’exister et de faire valoir leur identité. Un monde unipolaire serait le monde des dystopies qui connaîtrait la paix, celle des cimetières. Mais il est irréalisable tant que les nations n’ont pas été détruites.
Qu’est-ce qu’un monde multipolaire ? Nous avons connu un monde grosso modo biplaire entre 1945 et 1961, date de la première conférence des non alignés, qui voyait la naissance politique du Tiers-Monde et bientôt la rupture sino-soviétique qui allait progressivement voir émerger une nouvelle puissance : la Chine. Le monde multipolaire existe donc depuis les années 1960 ! L’effondrement du « socialisme réellement existant » n’a donné l’impression d’une victoire totale de « l’Occident collectif » qu’aux observateurs pressés de faire un scoop médiatique (type Fukuyama annonçant la « fin de l’histoire »).
Pour faire un peu d’histoire, on peut rappeler que nous avons connu un monde multipolaire au xixe siècle et qu’il a débouché sur la Première Guerre mondiale qui s’est poursuivie dans la Seconde Guerre mondiale avec la constitution de ces deux pôles qui vont s’affronter dans ce que l’on pourrait appeler la Troisième guerre mondiale que fut la Guerre froide.
Bref : pourquoi vouloir un monde multipolaire qui existe déjà et qui débouchera, comme l’histoire l’enseigne, sur de nouveaux affrontements pour le partage du monde ? En tant que citoyen français et européen, je n’ai aucune raison d’apporter mon soutien aux ambitions impérialistes de la Chine, pas plus qu’à celle de l’Inde dont la rivalité avec la Chine est toujours vive. Je ne souhaite pas l’effondrement de la Russie, mais je souhaite aux Russes de retrouver au plus vite le chemin de la démocratie. Je suis heureux de la fin programmée de la Françafrique, entreprise néocoloniale néfaste, mais je ne souhaite pas que l’Afrique francophone s’affirme dans la détestation de la France et la consolidation de la domination islamiste. Je n’ai rien contre la Turquie, mais je n’aime guère les tentatives du nouveau sultan d’Ankara de reconstituer l’empire ottoman. Et ainsi de suite…
Ce pour quoi nous devrions lutter, c’est pour un monde « apolaire », un monde sans puissances dominantes, qu’il y en ait une, deux ou cinquante. Un monde qui soit une « société des nations », au sens de la paix perpétuelle kantienne. Je sais que l’on croit que la paix repose sur l’équilibre des forces, le fameux « concert des nations ». Mais c’est une erreur. L’équilibre des puissances n’est jamais qu’un état de guerre virtuel. On devrait plutôt s’inspirer de Kant. Pour que la paix soit possible, les États doivent renoncer à la politique expansionniste. L’accroissement continu de la puissance étatique est peut-être une maxime de prudence, mais certainement pas une maxime juste. Le monde multipolaire est le monde « libéral » de la concurrence « libre et non faussée » entre les États en attendant « que le meilleur gagne ».
Que des États se mettent d’accord pour construire un nouveau système de paiements, pourquoi pas ? C’est leur affaire en tant que pays capitalistes. Ce qui devrait nous mobiliser au contraire, c’est la recherche des voies et des moyens pour sortir du mode de production capitaliste qui, sous sa forme chinoise autant qu’américaine, menace tout simplement l’existence de l’humanité.
Source :
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Pour un monde "apolaire" - La Sociale
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