Le fil d'Arkébi

 

Sortir du moule

"Freedom" sculpture de Zénos Frudakis

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Pendant ce temps là,

les Shadoks

continuent de pomper

 

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24 avril 2025

Naître d’un mensonge pour survivre par les mots

 

Elle aurait voulu simplement écrire des poèmes pour ses camarades. Mais on l’a forcée à devenir la scribe d’un désastre politique et intime, témoin d’une violence dont elle est issue.

" J’ai voulu devenir écrivaine il y a bien des années. À mes yeux, les écrivains étaient des héros – des vrais. Ceux qui savent raconter et révéler, mieux que la vie elle-même, les mondes du réel et de l’imaginaire. Je ne sais plus quand ou pourquoi ce désir est né. Mais je me souviens de cette passion brûlante pour découvrir, comprendre, et raconter. J’écrivais pour des gens – réels ou inventés, même pour des livres. Mes textes n’étaient presque jamais lus. Mais ils existaient. Petit à petit, je suis devenue conteuse. Puis des gens ont commencé à me demander d’écrire pour eux : lettres d’amour, poèmes, affiches pour la Saint-Valentin… Des histoires simples, qui ne demandaient pas de réinventer le monde. Mais un jour, les histoires qu’on me demanda d’écrire me dépassèrent. La première à insister, ce fut celle qui m’a mise au monde. Avant même d’écrire pour moi, j’étais déjà son héritière, sa narratrice.

Nous vivions ensemble à Téhéran, je la voyais souvent l’après-midi. Ma mère était connue pour sa tristesse et sa colère – entre cris et chants persans murmurés. Parfois, plus calme, elle me racontait des histoires. Je les adorais : Namaki et le Démon gentil, Violette et le Printemps… Mais celle qui m’obsédait, c’était la sienne.

Elle me racontait comment elle était devenue cette femme en deuil, m’appelait par mon prénom et ajoutait :  » Tu dois réclamer mes droits.  » Je m’imaginais alors comme une petite déesse de la justice, jugeant les douleurs humaines.

Ma mère était la plus jeune fille d’un riche propriétaire terrien kurde, autrefois exilé et emprisonné sous le Shah, dépossédé sous la République islamique. Elle avait grandi dans une grande maison blanche à Téhéran. La révolution éclata quand elle avait huit ans. Ses frères étaient révolutionnaires, certains pro-Khomeini, d’autres à gauche. Leur maison brûla. Le pouvoir changea. La richesse disparut. 

Elle rêvait encore de luxe, de liberté, d’exil. Alors elle s’est accrochée à l’école, a passé les concours, est devenue l’une des meilleures, admise en médecine. Mais un jour, elle rencontra un garçon. Ils se voyaient, se promenaient. Cela suffisait au régime pour parler de corruption morale. Accusée, elle fut forcée d’épouser ce garçon. Mon père. Elle perdit ses études, ses rêves, mais garda un désir : devenir mère.

Je suis née l’année de l’anniversaire de la révolution. Mais elle comprit vite que la maternité ne suffit pas à effacer le reste. Ils partirent. Tous les deux. Et je suis restée – enfant d’un mariage forcé, d’un régime. Traité comme une erreur. Une honte.

J’ai voulu mourir. Petite, je mangeais des gommes et du papier, croyant pouvoir m’étouffer et disparaître. J’ai connu la pauvreté, les coups, l’humiliation. Mais j’avais mes histoires.

Sans religion, sans blasphème, sans fortune, j’ai été condamnée à l’asphyxie. Une peine lente, sans cause ni but. Je ne suis pas seule. D’autres sont nés ainsi. Je ne connais pas leurs noms. Mais je sais qu’ils existent.

Et je crois : Nous ne sommes pas que les erreurs humaines d’un régime. Nous sommes humains. Et nos récits valent mieux que nos blessures. C’est pour ça que j’ai voulu raconter."

 

Source : Ombre et lumière

Naître d’un mensonge pour survivre par les mots
Le titre en Tête

 

                                     
     Vivre La Liberté     

                                     

 

La racine de nos maux,

des mots pour arracher la racine.

« Le discours de la servitude volontaire » de

Etienne de La Boétie.

(Pour lire la suite....)


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