Le fil d'Arkébi

 

Sortir du moule

"Freedom" sculpture de Zénos Frudakis

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Pendant ce temps là,

les Shadoks

continuent de pomper

 

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23 février 2021

- Dernières nouvelles du mensonge

 

Frédéric Taddeï reçoit Anne-Cécile Robert, journaliste, professeure associée à l’université Paris 8, pour son livre «Dernières nouvelles du mensonge», chez Lux éditeur.

 

 

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Interdit d'interdire / Culture : numéro 188, avec Anne-Cécile Robert - RT en Français

L'INTERVIEW :

Fr. Taddeï : Vous expliquez qu'on ne peut pas comprendre les phénomènes des fake news ou du complotisme sans analyser d'abord les vérités officielles qui ont envahi la parole politique à partir des années 80, 90 et qui ont propagé dans nos démocraties des visions dogmatiques - l'un ne va pas sans l'autre -, le complotisme, les fakes news, ça ne va pas sans les vérités officielles, les dogmes qui sont propagés à l'époque...

Anne-Cécile Robert : C'est un peu une facilité, effectivement, que de dénoncer les fake news - c'est extrêmement facile en plus ; ceux qui les portent sont parfois des vraies caricatures, quand on pense à Donald Trump, on a des épouvantails, des repoussoirs faciles -, mais ce faisant, on évite de se poser la question : pourquoi, étant donné qu'il y a toujours eu des mensonges dans l'Histoire et dans les sociétés, pourquoi est-ce que ces mensonges ont pris une telle importance aujourd'hui ? Et s'ils ont pris une telle importance, ce n'est pas tellement parce qu'il y a des instruments pour les propager comme les réseaux sociaux, c'est parce que nos sociétés sont devenues perméables au mensonge et qu'elles ont brouillé les frontières de la vérité et du mensonge, en réhabilitant par exemple des vérités officielles ou des mensonges officiels qui, en fait, ont acclimaté une certaine soumission à des vérités révélées qui empêchent ou privent ou décribilisent ce qui doit être important dans les sociétés démocratiques, c'est-à-dire l'esprit critique.

Fr.T : Alors, les mensonges, les vérités, c'est vraiment un très très vieux débat... Mais parlons tout d'abord de ce qu'est la vérité officielle. La vérité officielle, c'est la marque des dictatures, des systèmes totalitaires. On estime que dans nos démocraties comme la nôtre, il ne peut pas y avoir de vérité officielle, puisque le débat est libre. Comment se fait-il que, d'après vous, "la vérité officielle" fait son retour, en particulier en France, à partir des années 80, 90 ? A partir de quand, de quels moments est-ce qu'on peut véritablement parler de vérités officielles, vu que toutes ces vérités officielles ont eu des contestataires ?

A-C. R : Les vérités officielles n'ont effectivement pas leur place dans nos démocraties. On est plus habitués à les trouver dans les régimes autoritaires ou dans des dictatures, mais ce qui s'est passé c'est que, à partir des années 80, avec la montée en puissance de la mondialisation libérale, la disparition progressive des formes d'opposition que pouvaient constituer les régimes communistes ou soviétiques, on est entré dans le fantasme d'une sorte de fin de l'Histoire qu'on a beaucoup commentée à l'époque mais qui avait un corollaire qu'on avait peut-être moin remarqué - parce que si c'est la fin de l'Histoire, c'est aussi la fin du débat. Parce que l'Histoire étant dans un mouvement, implique l'opposition des points de vue, implique des querelles sur les faits et leurs interprétations, et à partir des années 80, on a voulu tuer tout ça, en estimant que la société libérale mondialisée était la société achevée qui mettait un terme, à, finalement, tous les questionnements humains depuis des siècles ou des millénaires sur qu'est-ce c'est que le bonheur, la liberté, qu'est-ce que c'est qu'une vie bonne, et on a vu s'installer des vérités officielles - je pense à madame Thatcher "Il n'y a qu'une seule vie économique possible", "la société n'existe pas" - la construction européenne aussi a été, pendant un temps, le théâtre de vérités officielles : c'était cette Europe-là et pas une autre -, et de ce fait, on a rétréci l'espacede débat, et parfois de manière très violente - je pense à la construction européenne avec des personnalités comme Jean-Marie Cavada ou Jacques Delors qui disait : "ceux qui contestent le traité européen devraient arrêter de faire de la politique", ou Cavada disant : "ceux qui contestent le traité européen devraient penser à Auschwitz". Là, c'est une façon de clore le débat de façon quelque peu spectaculaire... Et ça, malheureusement, ça vient des médias, ça vient de la classe politique démocratique, et pourtant c'est le contraire de la liberté, puisque c'est des pensées imposées.

Fr. T : Dans le cas de Jean-Marie Cavada, effectivement c'était de dire, de penser à Auschwitz, c'est que l'un des arguments de la construction européenne, c'est pour que jamais plus il n'y ait de guerre en Europe, et que la dernière avait mené à Auschwitz - d'où ce chantage moral qui pouvait s'effectuer et qui s'effectue encore parfois en ce qui concerne l'Europe.

Est-ce que, ce dont vous parlez : l'instauration de vérités officielles, à partir des années 80, 90, est-ce que ce n'est pas consubstantiel au fait que l'économie, à partir de ce moment-là, s'est vengé de la politique ? En fait, jusque là on pouvait faire de la politique - le Général de Gaulle disait : "L'intendance suivra" -, et puis là, à partir de ce moment-là, on dit : "Non, ce n'est pas l'intendance qui suit, c'est le contraire : la politique doit s'adapter à l'économie qui, elle, nous parle de la réalité".

A.C. R : Mais tous ceux qui ont étudié l'idéologie -je pense à Claude Lefort -, savent que l'un des traits caractéristiques de l'idéologie, c'est de se prendre pour la réalité. Et là, dans la volonté de sortir l'économie du débat politique est quelque chose de profondément idéologique, comme si l'économie était une science exacte, une vérité constatée indiscutable, alors qu'on a des exemples - y compris dans l'actualité - je pense au débat sur la dette - la dette est une réalité : on la voit, la dette Covid - tout le monde la constate -, et pourtant vous avez des économistes bardés de diplomes qui s'affrontent sur "comment expliquer la dette ?", "comment l'analyser ?", "faut-il l'annuler, pas l'annuler ?", etc. Donc l'économie c'est quelque chose de forcément politique et la prétention très idéologique qui consistait à imposer une position économique libérale ou libre-échangiste, au détriment - même pas des visions socialistes ou communistes mais même des visions keynésiennes, c'est-à-dire qui accordent un rôle important à l'Etat dans l'économie -, qui prévoient par exemple des nationalisations, ou l'industrie... Donc on est rentré dans un cycle de méconnaissance idéologique de l'idéologie, comme disait Claude Lefort.

Fr. T : Est-ce que ce n'est pas propre à tout pouvoir, est-ce que tout pouvoir ne tente pas, par tous les moyens, d'instaurer des vérités officielles, indiscutables qu'on ne puisse plus débattre à perte de vue de choses, tout simplement qui lui paraissent d'ores et déjà réglées, ou tout simplement parce qu'il veut convaincre les électeurs qu'il a raison ? Parfois on impose des vérités officielles, tout simplement pour que les électeurs soient convaincus que ça va mieux ou au contraire que ça va moins bien ? Il y a tout un discours sur la violence par exemple, comme quoi il y aurait une recrudescence de la violence qui s'est instaurée à partir des années 80, 90, qui ne repose à peu près sur aucun fait. C'est-à-dire que la société française était plus violente il y a 50 ans qu'aujourd'hui, mais on est tous persuadés que c'est l'inverse... et personne ne revient dessus.

A.C. R : Le pouvoir est une des choses les moins pensées, je trouve, du monde. Michel Foucault avait écrit des choses très intéressantes là-dessus, entre autres. Mais je suis frappée de voir à quel point - par exemple la gauche qui prétend conquérir le pouvoir au service de visions progressistes, transformatrices de la société, pratique le pouvoir de la même manière que la droite - et même tous ceux qui prétendent aujourd'hui être les plus révolutionnaires possible, finalement se retrouvent avec le culte du chef, avec des visions unilatérales, des visions finalement très personnelles du pouvoir. Or, on pourrait très bien imaginer une vision plus collective du pouvoir, une vision plus interrogative, plus partagée, moins unilatérale, qui ferait place précisément au débat et à la contradiction. Le débat relève à mon sens du principe de précaution, parce que personne n'a la science infuse ; personne ne peut prétendre détenir la vérité et tout comprendre de tout. On pourrait dire pour plaisanter que même Jésus a eu des doutes dans le désert, et les hommes politiques d'aujourd'hui ont l'air, eux, de faire comme si ils pouvaient découvrir tout savoir eux-mêmes du monde. Or, la vérité ne peut être qu'une construction sociale, ne peut être que le produit de la confrontation des points de vue. C'est pour cela que le débat relève du principe de précaution, parce que c'est finalement la seule façon d'arriver à faire émerger un petit peu de vérité, parce qu'on a tous des angles de vue, tous des points de vue, et c'est justement leurs confrontations et leur mise en débat qui va permettre à la société de se faire une idée. Et c'est ça qui manque....

Il n'y a pas de vie démocratique si on ne débat pas, sans peur, sans crainte et si on n'a pas peur de l'échange d'arguments. Alors évidemment, s'il s'agit simplement de se traiter d'abruti ou d'imposteur, évidemment ce n'est pas très intéressant, mais il ne peut y avoir de vie intellectuelle , de vie tout court, s'il n'y a pas un minimum de dissensus, s'il n'y a pas un minimum de doute. C'est cela aussi qui manque aujourd'hui : il ne peut pas y avoir de vie politique sans un peu de doute qui permet justement d'écouter l'argument de l'Autre. Si vous êtes convaincu - c'est Michel Rocard qui avait créé un club qui avait pour titre "Convaincre" ; ça m'a toujours choquée -, parce que si vous voulez convaincre les autres, c'est que vous êtes convaincu déjà vous-même d'avoir raison, donc la possibilité de dialogue est limitée. Donc il faut toujours garder une part de doute pour que l'espace de la discussion puisse s'installer ; sinon on a au mieux un affrontement de vérités qui s'imposent à tout le monde.

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https://francais.rt.com



 


Dernières nouvelles du mensonge - Lux Éditeur

S’il y a toujours eu des mensonges dans le discours public, ceux-ci occupent aujourd’hui un nouvel espace, notamment à la faveur des réseaux sociaux. La volonté de contrôler les outils l’emporte de plus en plus sur une réflexion de fond quant à l’effacement des frontières qui séparent le mensonge de la vérité. On tend à organiser la surveillance d’internet au risque de réduire les libertés de tous, alors qu’il faudrait rechercher les racines d’une confusion essentiellement politique et philosophique.

La classe dirigeante n’hésite pas à instrumentaliser la lutte contre les fake news pour se maintenir au pouvoir. Elle cherche ainsi à faire oublier sa responsabilité dans l’installation du mensonge au cœur de la vie publique et dans l’avènement d’un monde où il importe surtout de mieux mentir que l’adversaire. Ce dévoiement de la politique transforme encore plus l’électeur en spectateur et impose des formes de vérités indiscutables, voire une vérité officielle.

Pour reconstituer l’espace public démocratique, il devient impératif de réaffirmer la place de l’humain en tant qu’être pensant capable d’exercer sa faculté de jugement.



https://luxediteur.com

 

Le titre en Tête

 

                                     
     Vivre La Liberté     

                                     

 

La racine de nos maux,

des mots pour arracher la racine.

« Le discours de la servitude volontaire » de

Etienne de La Boétie.

(Pour lire la suite....)


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