Dans la région viticole la plus sèche de France, une solution miracle à base de charbon pour lutter contre la sécheresse ?
Prier ou agir. Dans les Pyrénées-Orientales, où les producteurs organisent des processions pour implorer la pluie, d'autres s'en remettent à la science, pour survivre au changement climatique.
Envoyé spécial dans les Pyrénées-Orientales
Les Pyrénées-Orientales sont le département le plus sec de France. En 2023, il a plu seulement 250 millimètres d'eau sur les vignes de grenache, carignan et autre mourvèdre. Une goutte d'eau, face aux 500 mm nécessaires pour un bon raisin. Pas un hasard, donc, si c'est sous le soleil plombant du Roussillon que mûrit la plus forte résilience. Pas le choix, tant la date des vendanges avance, et vite, d'été en été. En une quinzaine d'années, elles ont été avancées d'environ dix jours en moyenne.
Sur la route menant de Perpignan à Canet-en-Roussillon, le domaine Lafage fait figure de pionnier en la matière. Une poudre noire nommée «biochar» commence à y faire des merveilles. Ce charbon végétal, obtenu par pyrolyse de matières végétales, agit comme une éponge dans le sol. Mélangé avec du compost, il permet de contribuer à la rétention d'eau et à la régénération des sols des vignes, permettant une bonne nutrition des ceps. «C'est un composé qui concentre 80% de carbone et même au-delà. Une sorte de corail éponge. Le biochar abrite une infinité de micropores, qui permettent de stocker de l'eau et des nutriments», détaille Antoine Lespes, responsable Recherche et Développement du domaine. Ce diplômé de Supagro Montpellier s'est pris de passion pour le biochar, qu'il a découvert lors d'un stage en Australie, en 2018. Depuis, le natif de Narbonne n'a cessé d'explorer son potentiel dans les vignes catalanes. «Je préfère parler de biochars au pluriel», poursuit Lespes, depuis un algéco prévu à cet effet, où résident les dizaines de pots remplis de terre, sortes de témoins de laboratoires. «La philosophie du biochar est celle de l'économie circulaire. On travaille en local, dans un rayon de 100 km à la ronde.»
Le biochar salué par le GIEC
Véritable puits de carbone, le biochar va se maintenir plus de 100 ans dans le sol. Un argument qui explique pourquoi cette technologie a été saluée par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) comme l'une des rares solutions déployables pour limiter le réchauffement à 1,5°C. Détenant quelque 350 hectares dans le département, le domaine Lafage, l'un des cinq membres français du groupement International wineries for climate action (IWCA), a choisi d'expérimenter cette technologie dans la zone la plus aride des Pyrénées-Orientales, entre Espira, Rivesaltes et Salses. Au total, sur les 40 hectares dédiés à la recherche autour du changement climatique, huit sont « boostées » par le biochar. Les premiers résultats sont encourageants, selon Antoine Lespes : «Une vigne qui n'avait pas été irriguée mais sur laquelle on avait placé du biochar a eu autant de croissance végétative qu'une vigne irriguée sans biochar». Lorsqu'il s'applique sur une vigne existante, le biochar est déposé en surface. Dans le cas d'un nouveau cep, il sera placé à moins de 30 cm sous la terre.
Plus qu'une solution miracle, Antoine Lespes parle d'une innovation «hyper prometteuse, ambitieuse, mais encore compliquée à cerner», car pas applicable à toutes les situations. Avec un seul article scientifique publié sur la question en Europe, par la chercheuse italienne Silvia Baronti, le biochar n'en est qu'à ses prémices. Quelques recherches ont bien lieu ci et là. Hormis l'Italie, l'Espagne, la Californie ou encore l'Oregon ont un œil sur le biochar, inspiré de la terra preta (terre noire) inventée en Amazonie brésilienne. Une technologie qui, si elle confirme son potentiel, va continuer à faire le tour du monde.
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