Les détenteurs de la dette de la France, un indice révélateur
Aussi incroyable que cela puisse paraître, les détenteurs de la dette publique française ne sont pas connus. Mais @philippeherlin a eu la bonne idée de regarder quels investisseurs et pays l'Agence France Trésor a rencontré en 2023. Un début de réponse. https://t.co/KvFFe2NlfD
— Stanislas Berton (@StanislasBerton) August 8, 2024
La France ne communique pas sur les pays détenteurs de sa dette publique, contrairement aux États-Unis par exemple, qui publient les chiffres précis. On s’aperçoit d’ailleurs que la France, via ses banques et institutions financières, détient 283 milliards de dollars de dette fédérale américaine, ce qui n’est pas rien. Le ministère des finances affirme que cette information est publique, comme l’a encore récemment prétendu Bruno Le Maire. C'est faux. L’Agence France Trésor (AFT), la branche de Bercy chargée d’émettre et de gérer la dette de l’État, ne fournit pas de chiffres. Cette information est pourtant cruciale sur le plan géopolitique !
Selon le dernier bulletin mensuel de l’AFT, 54% de la dette de l’État est détenue par des investisseurs "non-résidents", suivant la terminologie, c’est-à-dire étrangers (page 3). Elle représentait 2 429 milliards d’euros au 31 décembre 2023. Il s’agit de la dette de l’État au sens strict. La dette publique au sens large, dite 'de Maastricht' (incluant la sécurité sociale, les collectivités, les organismes publics), telle que calculée par l’INSEE, atteignait 3 159 milliards d’euros en mars 2024. Pour information, la catégorie 'Autres' (27,2%) correspond à la Banque de France, dans le cadre des rachats de dette souveraine initiés par la BCE durant la crise Covid (concrètement, la planche à billets a été activée afin de créer la monnaie nécessaire à l’achat des bons du Trésor).
L’Agence France Trésor vient de publier son rapport annuel 2023 (si vous cherchez une lecture d’été, même s'il y a plus excitant), mais nulle trace des pays détenteurs de la dette française… Cependant, et c’est un indice crucial, le rapport donne la liste pays visités : "L’AFT a rencontré des investisseurs issus de 20 pays différents en 2023 pour promouvoir les valeurs du Trésor et le crédit de la France" (page 14). Ils sont a priori les principaux acheteurs ou prospects. Nous les avons reclassés par continent :
- Asie : Australie, Cambodge, Chine, Corée du Sud, Inde, Japon.
- Moyen-Orient : Émirats Arabes Unis, Qatar.
- Europe : Autriche, Espagne, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Roumanie, Suisse.
- Amériques : États-Unis, Mexique.
- Afrique : Maroc.
Voilà qui est intéressant. L’Europe domine en nombre de nations, ce qui est normal, les pays de la zone euro étant naturellement portés sur des dettes libellées en euros, ce qui leur évite le risque de change. Mais on notera la présence du Royaume-Uni et de la Suisse, qui bénéficient chacun de leurs devises. Pourquoi les banques espagnoles et italiennes acquièrent de la dette française, alors que celle de leur pays ne manque pas et rapporte plus ? On aimerait quelques éclaircissements de l’AFT sur ce sujet. Faisons l’hypothèse de la diversification. On notera que Bercy ne rechigne pas à faire sa promotion dans un paradis fiscal (le Luxembourg), ce qui témoigne d’une incontestable ouverture d’esprit.
Les grandes économies d’Asie sont présentes (avec le Cambodge, un prospect à l’évidence). Ces pays, surtout la Chine, génèrent un excédent commercial avec la France. Ils accumulent donc des euros qu’ils replacent dans notre dette. Logique. Voici un moyen de pression dont Pékin peut user à volonté…
Du PSG à l’immobilier en passant par le CAC 40, l'intérêt du Qatar pour la France est bien connu. Voici un aspect supplémentaire de cet intérêt. Décidément, quelle idylle. On le sait peu, mais la France dispose d'une base militaire permanente en dehors du continent africain, située à Abou Dabi, aux Émirats Arabes Unis. Les liens s’avèrent donc vraiment étroits.
En tant que première place financière mondiale, les États-Unis figurent bien sûr sur cette liste, tout comme le Mexique… Les narcos pourraient chercher à diversifier leurs avoirs pour ne pas dépendre uniquement du dollar.
Premier producteur mondial de résine de cannabis, le Maroc génère 12 milliards de dollars de revenus annuels selon Wikipédia, enfin plutôt des euros étant donné que le marché de destination est l’Europe, et il faut bien en placer une partie*.
Bref, cette liste esquisse un paysage géopolitique qui révèle déjà beaucoup, mettant en lumière certaines faiblesses ou dépendances, et ce, même sans connaître les montants exacts…
Jetons un voile pudique.
* Pour mesurer le poids énorme de la drogue dans nos économies, on lira Extra pure, voyage dans l’économie de la cocaïne de Roberto Saviano (l’auteur de Gomorra), une passionnante lecture d’été.
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