TRIBUNE LIBRE - “Un peu de philo avant l’action… penser aujourd’hui pour réagir demain”
Depuis des siècles, les penseurs ont tenté de comprendre les mécanismes qui conduisent un groupe humain à accepter sans résistance une situation qui lui est pourtant préjudiciable
Étienne de La Boétie, dans son “Discours de la servitude volontaire”, a été l’un des premiers à poser un constat édifiant à ce sujet : un pouvoir ne devient pérenne que parce que les citoyens s’y soumettent volontairement. Il s’enracine sur une forme d’habitude, de résignation, voire d’oubli de la possibilité même de contester ou de changer.
Plus tard, c’est Alexis de Tocqueville, dans “De la démocratie en Amérique”, qui approfondira cette idée en expliquant que l’acceptation ne repose pas sur la terreur, mais sur un affaiblissement insidieux de l’esprit critique. Les citoyens, absorbés par leur quotidien, leur quête de confort et leur sphère privée, ne perçoivent plus, progressivement, l’importance d’une action collective. Ils se contentent de subir, non par crainte, mais par indifférence, par habitude.
Hannah Arendt va même plus loin en affirmant que lorsqu’une communauté humaine en arrive à ne plus percevoir son propre asservissement, lorsqu’elle intègre comme inéluctable une situation qui pourrait être changée, alors le pouvoir a atteint son apogée.
Perpignan, aujourd’hui, illustre bien ces réflexions. Face aux difficultés qui s’accumulent – la faible implication de l’édile de la commune, l’absence d’un véritable projet urbain, le délitement du tissu économique, l’effondrement de l’attractivité de la ville et son déclassement –, la résignation semble avoir pris le pas sur l’adhésion. Certes, des critiques émergent çà et là, mais elles restent isolées, inaudibles, sans force collective.
Antonio Gramsci nous a pourtant appris que la soumission durable à un pouvoir ne devient possible que lorsque ses administrés finissent par voir le monde à travers ses propres catégories, en intégrant inconsciemment l’idée qu’“il n’y a pas d’alternative”.
Michel Foucault a montré quant à lui comment le pouvoir s’exerce de manière diffuse, à travers des mécanismes de discipline et de normalisation qui façonnent les esprits : il s’agit simplement de structurer un cadre dans lequel l’idée même de changement semble hors de portée. Une inertie hypnotique se manifeste dans la gestion du quotidien, qui focalise l’attention sur le micro-détail, faisant perdre de vue tous les enjeux réels.
Aldous Huxley et George Orwell nous ont également avertis des dangers d’un monde où le conditionnement et la propagande peuvent annihiler l’envie même de se révolter. Là où Orwell dépeint un pouvoir qui contrôle le langage et empêche ce faisant toute pensée dissidente, Huxley montre un système où la soumission vient de la recherche systématique de la sécurité, du confort et du divertissement.
Gustave Le Bon et Herbert Marcuse complètent d’une certaine façon ce tableau en montrant comment une foule peut être manipulée pour accepter passivement, au final, une situation qui lui est pourtant défavorable. L’absence de conscience critique, la fragmentation des revendications, le sentiment d’impuissance collective, sont autant de mécanismes qui empêchent une prise de conscience globale. Terrifiant.
Mais cette fatalité n’est pas une nécessité. La Boétie nous rappelle aussi que la servitude est avant tout une construction mentale. Il suffit d’une prise de conscience, d’un sursaut collectif, pour renverser l’inertie.
À Perpignan, l’avenir ne se jouera pas dans un enchaînement mécanique des mêmes comportement électifs, mais dans la capacité des citoyens à rompre avec la passivité, à exiger mieux, à refuser d’accepter ce qui semble immuable.
Se réveiller, c’est avant tout refuser de considérer la situation actuelle comme une fatalité. C’est se réapproprier la parole, débattre, imaginer un autre avenir pour notre ville et ses habitants. Car, comme le soulignait encore H. Marcuse, “ce qui est présenté comme inévitable est souvent simplement le produit d’un choix que l’on n’a pas encore osé contester”. Pour Perpignan, il est temps !
Source :
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