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25 novembre 2024

Reconnaissance faciale : la police désactive le logiciel Briefcam après l’enquête de Disclose

 

Un rapport du ministère de l’intérieur publié en catimini, lundi 28 octobre, confirme les révélations de Disclose sur l’utilisation illégale par la police et la gendarmerie du logiciel Briefcam, entre 2015 et 2023.

Cet outil qui permet la reconnaissance faciale a été désactivé juste après notre enquête.

Une décision qui met fin, au moins temporairement, à l’une des plus graves atteintes à la vie privée en France ces dernières années.

 

Coret Photos / SIPA

Coret Photos / SIPA

Un rapport du ministère de l’intérieur publié en catimini, lundi 28 octobre, confirme les révélations de Disclose sur l’utilisation illégale par la police et la gendarmerie du logiciel Briefcam, entre 2015 et 2023. Cet outil qui permet la reconnaissance faciale a été désactivé juste après notre enquête. Une décision qui met fin, au moins temporairement, à l’une des plus graves atteintes à la vie privée en France ces dernières années.

Gérald Darmanin l’avait promis il y a près d’un an. Le ministère de l’intérieur vient de publier, en catimini, son rapport sur l’utilisation du logiciel de vidéosurveillance Briefcam par les forces de l’ordre. Un document long de 90 pages, qui confirme l’intégralité des révélations publiées par Disclose, en novembre 2023, sur le recours illégal à Briefcam par des dizaines de services de police et de gendarmerie. L’analyse, rédigée par des fonctionnaires de l’inspection générale de l’administration (IGA), de l’inspection générale de la police nationale (IGPN) et de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN), dévoile aussi que le logiciel a été désactivé juste après notre enquête. Malgré les pirouettes sémantiques, elle reconnaît l’utilisation de l’option de reconnaissance faciale « hors cadre légal », à une reprise au moins durant les huit dernières années.

Cette « unique mise en œuvre » remonterait à l’été 2023. À cette période, plusieurs communes françaises font face à des soulèvements violents déclenchés par la mort de Nahel Merzouk, tué à bout portant par un policier lors d’un contrôle routier. C’est le cas à Fosse, dans le Val-d’Oise, où une enquête de gendarmerie est ouverte à la suite de la dégradation de bâtiments publics. La brigade de recherche de Montmorency collecte des vidéos des événements, puis fait appel à des collègues du pôle judiciaire de la gendarmerie pour bénéficier de l’outil de reconnaissance faciale de Briefcam, selon une note jointe aux annexes du rapport. « Dans ce contexte exceptionnel, est-il écrit, la fonctionnalité de reconnaissance faciale a été activée […] en intégrant dans Briefcam des photographies de personnes soupçonnées par les enquêteurs d’avoir participé aux émeutes. » Aucun magistrat n’est alors informé de cette procédure, comme cela devrait être le cas. Deux personnes ressortent de l’analyse automatique de visages effectuée par le logiciel, avant que l’enquête des gendarmes ne les mette hors de cause. Leur méthode d’investigation, intrusive et illégale, ne sera jamais mentionnée sur procès-verbal.

Ce seul exemple d’utilisation « hors cadre légal » prouve que les forces de l’ordre pouvaient, en un clic, exploiter l’outil de reconnaissance faciale de Briefcam à l’aide d’images filmées dans l’espace public. Un fait que l’ancien ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, n’a jamais reconnu. À la suite de notre publication, celui qui fut ministre de l’intérieur pendant quatre ans affirmait : « À ma connaissance, nous n’utilisons pas de reconnaissance faciale. »

Pour rappel, une source au sein de la police nationale avait expliqué à Disclose, en novembre dernier, que la reconnaissance faciale de Briefcam était activement utilisée : « N’importe quel policier dont le service est équipé peut demander à recourir à Briefcam, en transmettant une vidéo ou photo ». Le tout, sans contrôle ni réquisition judiciaire.

Un rapport basé sur la « bonne foi »

Surtout, rien n’indique que le seul cas relevé dans le rapport est bel et bien « exceptionnel ». De fait, les fonctionnaires mentionnent le chiffre de 563 utilisations du logiciel, entre 2015 et 2023, tout en admettant qu’ils n’ont pas été en mesure de recueillir d’éléments matériels confirmant ou infirmant l’usage de la reconnaissance faciale par des policiers ou des gendarmes. Le logiciel ne conserve « aucune archive informatique des données exploitées après traitement », écrivent-ils, précisant qu’il n’existe « aucun enregistrement systématique et continu par les services permettant d’avoir une vision complète » de son utilisation. Un langage policé que l’on peut traduire ainsi : l’absence totale de certitudes sur l’usage de la reconnaissance faciale, alors que l’option était disponible par défaut sur le logiciel depuis fin 2018, et qu’elle ne pouvait « être désactivée qu’après une intervention informatique de l’administrateur ». Le 1er janvier 2024, la marque d’appareils photo Canon, propriétaire de Briefcam, a retiré l’option sur les versions françaises de son logiciel. Et ce, « en raison de la polémique soulevée » par Disclose.

Pour rendre leurs conclusions, les auteur·ices du rapport se sont uniquement appuyés sur « des remontées déclaratives reposant pour l’essentiel sur la mémoire des utilisateurs ». En clair, les six fonctionnaires qui l’ont rédigé — dont quatre policiers et gendarmes — ont demandé à leurs collègues s’ils se souvenaient avoir employé illégalement un outil de vidéosurveillance des plus intrusifs. Ils précisent, à toutes fins utiles, qu’ils ont « acquis la certitude de la bonne foi » des services interrogés.

Extrait de la documentation de Briefcam sur la fonctionnalité de reconnaissance faciale. Capture d’écran

À la lecture du document, une élément saute aux yeux : le ministère de l’intérieur tente de blanchir l’utilisation illégale de Briefcam par ses services. Pour s’en convaincre, il suffit de se rendre à la page 29. Les rapporteur·ices y expliquent, sans rire, que le logiciel était considéré par « les enquêteurs de terrain comme un “super magnétoscope” », ou une « grosse loupe ». Raison pour laquelle ils n’ont jamais jugé utile de faire mention de son utilisation dans leurs procès-verbaux. Mais c’était, là aussi, « de bonne foi », assure le document. Le rapport précise également que le recours à Briefcam n’a jamais fait l’objet d’aucune demande d’autorisation à un magistrat, comme cela est pourtant prévu par loi. Et si son utilisation a échappé « pendant près de huit ans, à la détermination […] du cadre juridique de son emploi », ce serait simplement à cause « [d’]hésitations d’analyse juridique » et « d’une certaine inertie administrative ».

Briefcam suspendu après nos révélations

Il a fallu attendre la publication de l’enquête de Disclose pour mettre fin à « huit années d’utilisation flottante au plan juridique », dixit les auteur·ices. Le 14 décembre 2023, soit un mois après nos révélations, la Direction générale de la police nationale s’est enfin décidée à se conformer à ses obligations juridiques en déposant « un engagement de conformité » auprès de la CNIL. Avant de finalement ordonner à ses services « de suspendre toute utilisation » de Briefcam, confirme le rapport du ministère de l’intérieur. La Direction de la gendarmerie nationale a, quant à elle, interrompu l’utilisation du logiciel trois jours après la publication de notre enquête, le 17 novembre 2023. Motif invoqué, d’après le rapport : « Des raisons d’insécurité juridique ».

L’étude élaborée par le ministère de l’intérieur va plus loin que la seule opération de blanchiment : elle milite pour élargir les possibilités d’utilisation de la reconnaissance faciale, qui, « si elle était légalement autorisée, susciterait évidemment l’intérêt des enquêteurs ».

Aujourd’hui, celle-ci est uniquement autorisée, a posteriori, pour des enquêtes judiciaires en s’appuyant sur les photos contenues dans le TAJ, le fichier de traitement des antécédents judiciaires. Insuffisant pour les rapporteurs, qui souhaitent « alléger le cadre réglementaire strict, facteur de lenteur ». Leurs suggestions ? Généraliser le recours à la reconnaissance faciale « au-delà de la seule exploitation du TAJ ». Les rapporteurs proposent aussi de créer un nouveau régime « d’expérimentation » des outils de surveillance basés sur l’intelligence artificielle : les logiciels et fichiers comportant des « données sensibles […] pourraient être autorisés, aux fins et pour le temps de l’expérimentation, par arrêté ministériel », sans même passer par le Parlement. « Non content·es de couvrir des abus pourtant passibles de sanctions pénales, les auteur·rices du rapport proposent de relâcher encore davantage la bride de la police », déplore auprès de Disclose Bastien Le Querrec, membre de l’association de défense des libertés La Quadrature du net.

Alors que la suspension de Briefcam met temporairement fin à une surveillance illégale de la population par les forces de l’ordre, le gouvernement Barnier semble déjà préparer le coup d’après. Début octobre, Matignon a annoncé son intention de généraliser la vidéosurveillance algorithmique, expérimentée pendant les Jeux olympiques de Paris.


Rédaction : Arno Soheil Pedram

Édition : Mathias Destal, Pierre Leibovici

Photo de couverture : Coret Photos / SIPA

 

 

 

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