- « Le lion et l’épouvantail » une fable des temps modernes par Didier Morisot
Isaac van Amburgh and his Animals. 1839. Royal Collection, Windsor
Le climat était lourd au palais du Roi-Lion,
Car l’heure était toujours à la contestation :
Les gens, depuis de nombreux mois,
Manifestaient à tour de bras.
« Nous sommes dans une impasse, disait le Roi, morose ;
Messieurs les conseillers, trouvez-moi quelque chose !
…mais non, j’ai la réponse : il nous faut une guerre
Pour déplacer le trouble au-delà des frontières ! »
Personne ne prenait la parole,
N’osant bouger, lorsqu’une chouette
Descendue de son Acropole,
Arriva sur ces entrefaites.
« Majesté, ces révolutions
Qui mettent à mal votre royaume
Ne sont en fait que le symptôme
D’un monde en décomposition ;
Voyez l’état de la planète,
La mort des oiseaux, des insectes…
La peur, confusément, fait que les gens défilent
Car ils savent bien aussi leur espèce en péril… »
En attendant d’aller en guerre,
Le lion se gratta la crinière.
« Mais que dis-tu, la chouette, où veux-tu en venir… ? »
« Je vais vous expliquer ; Sire, en fait je veux dire
Que vous avez raison, il nous faut un combat,
Que dis-je, une croisade qui pourrait à la fois
Sublimer le pays et sauver l’avenir
Autour d’un grand projet qui saurait nous unir ! »
Délaissant alors la crinière,
Le lion se gratta le derrière.
« Tu es aussi limpide qu’un avocat d’affaires :
Clarifie ton propos, je ne suis pas d’humeur. »
« Sire, le temps est venu, prenez de la hauteur :
Arrêtons pour de bon d’empoisonner la Terre !
Proposez au pays une vraie révolution,
Limitons la chimie, limitons les avions…
Remettons à sa place ce qui est mécanique,
Cessons de commercer de façon frénétique !
Et sauvons le climat tant que nous le pouvons,
Vous aurez tout l’amour de la population… »
C’est alors que l’autruche interrompit la chouette,
Lui volant dans les plumes, jouant les trouble-fêtes.
« N’écoutez pas, Sire, ces propos,
Ces sottises de vieille écolo :
Agir comme il est énoncé
Reviendrait à nous suicider ! »
Le renard, aussitôt, bondit sur l’occasion ;
« Sire, mon amie l’autruche a tout à fait raison,
Il serait vraiment saugrenu
De saboter l’économie,
De faire sombrer tout le pays
Pour une cause déjà perdue !
Si l’on veut faire l’union, faisons-la autrement :
La peur est à mon sens le plus fort des ciments…
Ce qu’il faut, Majesté, c’est un épouvantail,
Quelque chose d’inquiétant qui rende les gens dociles :
J’ai dans mes connaissances un virus oriental
Capable de tuer un habitant sur mille ! »
Le Roi était perplexe devant un tel sermon ;
Ce discours était-il du lard ou du cochon ?
« Renard… en fait d’épidémie,
Tu conseilles de semer la peur ? »
« Oui, Sire, un peu de comédie :
Donnons le statut de tueur
À ce nouveau virus qui pourrait bien, d’ailleurs,
Faire que certains malades bousculent au portillon ;
Soutenez l’hôpital, posez-vous en sauveur !
Et tant que nous y sommes, freinons la contagion
En maintenant les gens cloitrés à la maison ;
Nos rues seront indemnes de manifestations… »
Son derrière étant bien gratté,
Le Lion se nettoya le nez.
« Renard, je suis le Roi, le Père de la Nation,
Mais toi tu es un maître en manipulation… »
La morale est très simple : vous manquez d’envergure ?
Que l’ennemi, alors, soit à votre mesure :
Dépourvu de courage, et qu’il mette en péril
Surtout ce qui est vieux, malchanceux ou fragile…
– Didier Morisot
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